Présentation thématique > Tables rondes

Lundi 17 juin

9h30 - 11h : Table ronde « Modes de publication (articles, essais, thèses, collectifs) »

Comment les chercheurs et les chercheuses publient-ils aujourd’hui les résultats de leurs enquêtes dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) et comment les éditeurs, publics et privés, mais aussi les acteurs associatifs (sociétés professionnelles ou savantes, revues indépendantes, etc.) organisent-ils ces publications en fonction de leurs propres contraintes matérielles et économiques ? Sophie Barluet avait souligné dans son rapport, repris en livre, L’édition de sciences humaines et sociales : le cœur en danger (Paris, PUF, 2004), le rôle essentiel et spécifique des essais. Cette spécificité correspond également à l’engagement historique de l’édition privée dans le secteur des SHS, ce qui est assez différent du monde éditorial anglophone ou d’autres espaces nationaux et linguistiques. Or les collections de SHS chez les éditeurs généralistes privés ont tendance à reculer, et les exigences vis-à-vis d’une forme de lisibilité des textes parfois difficile à mettre en rapport avec un projet scientifique augmentent. On a le sentiment que le processus à l’œuvre est celui d’une fragilisation de la zone centrale de la production, ce « cœur » où se rencontrent éditeurs publics et privés, chercheurs en SHS et grand public cultivé, sous la double pression des exigences formelles et économiques de l’édition et des nouveaux formats de communication du monde scientifique.

Ce sentiment correspond-il à une réalité ? Si les essais originaux semblent souvent occuper une place plus limitée que par le passé – et encore faudrait-il interroger les éditeurs sur l’évaluation précise de ce phénomène, car si les ventes paraissent décliner, le nombre de livres publiés dans ce secteur n’a cessé d’augmenter depuis vingt ans –, on note cependant que la publication de la thèse sous forme monographique (ou sous forme d’articles dans certains domaines comme en économie) reste un passage quasiment obligé dans la carrière des chercheurs. Dans le même temps, la recherche sur projet, prolongeant le développement des laboratoires en SHS depuis les années 1980, a produit une multiplication de livres collectifs, déjà dénoncée par Jacques Le Goff en 1993, qui parlait de « colloquite aiguë ». L’essor de l’évaluation individuelle de la recherche a souvent été lié à la valorisation de la publication dans des revues selon les standards internationaux d’expertise.

Le paysage des pratiques de publication semble aujourd’hui difficile à dessiner. Il manque d’abord des données quantitatives précises et différenciées par discipline sur les choix opérés en parallèle dans le monde de la recherche et dans le monde de l’édition, qui permettraient de mieux comprendre les stratégies de publication, du côté des auteurs (comment, pourquoi et quand privilégie-t-on l’édition publique ou privée, l’essai, la monographie, le livre, l’article de revue ?) ou du côté des différents acteurs de l’édition (quelles sont les attentes vis-à-vis des auteurs, comment travaille-t-on les textes, comment tenir compte du lectorat potentiel ?). Mais il manque également une réflexion qualitative sur la manière dont ces formes de publication s’articulent les unes aux autres, tant d’un point de vue économique que d’un point de vue scientifique. En somme, alors que les mêmes chercheurs et chercheuses interviennent dans les différents champs de la publication, les débats sont fragmentés (sur l’essai de synthèse, sur le rôle des revues, sur la place de la vulgarisation scientifique, etc.), sans faire l’objet d’une réflexion d’ensemble que l’on tentera d’amorcer à l’occasion de cette rencontre.

Cette table ronde réunira Bruno Auerbach, Julie Gazier, Béatrice Milard et Dominique Picco.

––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

 

14h30 - 16h : Table ronde « Modèles économiques et diffusion »

Ces dernières décennies, l’économie du monde éditorial en SHS a été bouleversée. Les ventes de livre ont baissé de manière continue depuis 1990, ce qui a conduit à un retrait progressif de l’édition privée généraliste de certains secteurs de publication, mais aussi à l’apparition de nouveaux éditeurs de petite taille spécialisés en SHS, tandis que les éditeurs universitaires ont expérimenté de nouveaux modes d’organisation, que les laboratoires ont parfois pris en charge le rôle d’éditeur et que les plateformes d’archives ouvertes, comme OpenEdition, ont proposé une alternative économique et technique à l’édition, qu’elle soit imprimée ou électronique. Dans le même temps, la diffusion des revues a également diminué, du moins à travers les canaux traditionnels représentés par les volumes papier et l’abonnement ou la diffusion en librairie. Inversement, la mise en ligne massive des périodiques depuis une dizaine d’années a donné un nouvel élan à d’autres formes de diffusion, dont les revenus sont cependant bien moindres. Là aussi, l’articulation entre modèles économiques et pratiques de diffusion n’est pas aisée à saisir à la fin des années 2010. Et il importe de comprendre la variété des situations au sein du secteur éditorial.

Il y a certes une grande division entre le privé et le public, qui correspond à une réalité essentielle, mais, d’une part, on sait que les éditeurs publics intègrent, dans une mesure variable selon les institutions, les contraintes économiques au sein de leur modèle, même si l’attention au marché n’est pas équivalente à celle des éditeurs privés qui développent des stratégies spécifiques (actualité, anniversaires, positionnement identifiable, thématique ou idéologique). D’autre part, les éditeurs privés travaillent également avec des subventions publiques liées au soutien à la publication (CNL, collectivités territoriales, institutions de recherche…), ce qui les rapproche parfois du secteur public. Enfin, il importe d’intégrer à cette réflexion l’évolution de la diffusion (avec la question de l’articulation entre le public et le privé) et du lectorat, en se demandant quels lecteurs cherchent réellement à atteindre les éditeurs de SHS aujourd’hui, et quelles modifications stratégiques ont pu intervenir dans ce domaine depuis vingt ans. On voudrait donc parvenir, à travers ces interrogations, à saisir les grands principes d’organisation du monde de l’édition aujourd’hui, un secteur qui se caractérise souvent par sa fragmentation selon les disciplines et les types de publication.

Ces évolutions ont également eu pour conséquence des transformations du secteur professionnel, avec une précarisation du travail et le développement d’une économie de la sous-traitance dans le domaine éditorial. De ce point de vue aussi, la comparaison entre le public et le privé montre une proximité plus grande que l’on ne pourrait l’imaginer, avec des salaires majoritairement très bas, une masse de travail toujours plus importante, des licenciements économiques courants et la généralisation de l’auto-entrepreneuriat. Tout cela interroge : existe-t-il aujourd’hui un ou plusieurs modèles économiques pour l’édition en SHS ? Comment se fait l’équilibre entre types d’ouvrage (essai, monographie savante, ouvrage de référence, para-universitaire, etc.), revues et livres, papier et électronique, public et privé, subventions et produit des ventes, dans le domaine économique ? Un nouveau point d’équilibre du secteur est-il possible, et selon quelles modalités ?

Cette table ronde réunira Ghislaine Chartron, Isabelle Laboulais, Éric Monnet et Sophie Noël.

 ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

 

Mardi 18 juin

9h30 - 11h : Table ronde « Évaluation scientifique, bibliométrie et édition »

La question de l’évaluation est au cœur de la politique de la recherche dans les pays européens depuis le début des années 2000. Il s’agit de parvenir à mettre en place des instruments de mesure des performances individuelles mais aussi collectives, à travers l’évaluation des institutions. Le modèle des sciences de la nature joue ici un rôle particulièrement important, entre attraction et répulsion. Dans cette perspective, une part de l’évaluation semble avoir été déléguée à l’édition, sous toutes ses formes, même si des distinctions existent selon les disciplines. Le nombre de publications, leur forme et leur lieu (revues, collections, éditeurs prestigieux…) sont aujourd’hui des critères importants de perception de la valeur scientifique. Cette évolution, qui articule l’évaluation par les éditeurs (qu’il s’agisse des comités des revues ou des maisons d’édition) et l’évaluation par les instances universitaires, pose au moins trois questions.

Tout d’abord, celle de l’interaction entre ces pratiques de l’évaluation et les pratiques des acteurs de l’édition, dès lors qu’ils intériorisent le fait qu’ils jouent un rôle clé dans le processus de structuration des carrières et de répartition des ressources. Cette conscience peut être encore une fois interrogée du point de vue du privé et du public. Il n’est pas certain que les éditeurs privés intègrent les conséquences académiques de leurs choix éditoriaux de la même manière que les éditeurs publics, étant principalement attentifs à d’autres contraintes et d’autres critères. Pour autant, l’édition privée est loin d’être hermétique au jeu universitaire, et les directeurs de collection sont souvent des chercheurs, les réseaux savants étant étroitement articulés aux grandes maisons d’édition privées.

Ensuite, la deuxième question posée est celle de la capacité à produire une mesure pertinente de la valeur scientifique à partir des publications, à travers des outils bibliométriques par exemple. Le « facteur d’impact » tient lieu, à ce titre, de symbole dans la réflexion sur les spécificités éditoriales des SHS par rapport aux sciences techniques et médicales (STM), et cette thématique vient de susciter pour la première fois une prise de position des pouvoirs publics. Il importe maintenant d’aller plus loin : dans ce domaine aussi, les souhaits politiques autoréalisateurs, qui tendraient vers une automatisation de l’évaluation sur une base chiffrée et mesurable, et les dénonciations idéologiques, qui font comme si cette situation existait déjà alors qu’on en est loin, tiennent plus de place qu’une connaissance fine et réflexive de la situation, qu’il reste largement à élaborer. Enfin, se pose la difficile question des critères de l’évaluation des ouvrages et des articles par les chercheurs et les éditeurs, et de la reconnaissance relative de ce travail évaluatif et éditorial dans les carrières de recherche.

Cette table ronde réunira Gabriel Galvez-Behar, Stéphane Gioanni, Françoise Gouzi et Lionel Obadia.

 ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

 

 14h30 - 16h : Table ronde « Réseaux sociaux académiques, archives ouvertes, plateformes »

Le développement des outils numériques dépasse largement la mise en ligne des revues sur des sites dédiés et les débats sur l’open access suscités dans ce cadre. Les textes circulent aussi sur les réseaux sociaux, peuvent être disponibles dans des archives ouvertes hébergées par des institutions publiques, mais sont également convoités par des acteurs privés devenus parfois incontournables, comme Academia ou ResearchGate. Ces nouvelles pratiques de diffusion et de lecture ont des effets sur le monde de l’édition  comme en ont témoigné les nombreux débats autour de la loi numérique de 2016 – ainsi que sur le monde de la recherche, puisqu’une plateforme comme HAL peut être utilisée par le CNRS pour évaluer les chercheurs et les unités. Mais elles induisent aussi un déplacement des rapports de force : les portails tendent à jouer le rôle d’éditeur, les moteurs de recherche deviennent des outils de tri essentiels et la capacité d’autoédition des acteurs et actrices de la recherche a fortement augmenté. Pour autant, la concentration et la hiérarchisation de l’espace des savoirs accessibles en ligne sont frappantes, contribuant à contrebalancer l’idée selon laquelle il est plus facile de communiquer librement les résultats de la recherche et posant la question de l’articulation entre archives ouvertes et grands acteurs privés du secteur.

Au total, et c’est sans doute l’un des enjeux les plus forts de cette rencontre, les évolutions techniques et économiques du secteur mettent en question le métier même d’éditeur et toute forme de travail éditorial accompli sur les textes, de même que toute forme de validation de leur qualité scientifique. Le nouveau système d’opportunités et de contraintes qui s’est mis en place doit donc également faire l’objet d’une description précise pour que l’on parvienne à en maîtriser les effets de manière collective.

Cette table ronde réunira Chérifa Boukacem-Zeghmouri, Émile Gayoso, Pierre Mounier et Camille Prime-Claverie.

 

 

Personnes connectées : 1